Juste parce que j'l'ai dévoré.
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"D'ailleur, je me raconte encore des histoires en disant ça, c'était pas lui le salaud, c'était pas lui le monstre et le coupable, c'était moi, seulement moi, je m'en foutais de devoir tout le temps augmenter les doses; je m'en foutais de ne plus nager et de ne plus danser parce que le coeur n'allait pas tenir; je m'en foutais de mourir; je m'en foutais du teint cireux que je commençais à avoir certains matins, des grandes cernes noirs qu'il fallait cacher sous d'épaisses couches de fond de teint; je m'en foutais de ce regard dur, noir, qui me trahissait quand je ne faisais pas attention; je m'en foutais de cette méchanceté que j'avais en moi et que les amphétamines révélaient; je m'en foutais d'être seule, plus seule que je ne l'avais jamais été; je me foutais de tout, du moment que j'avais mes douze gélules par jour et que je pouvais me dire: ça y est, je ressemble à celle qu'il cherche, cet être implacable qui répond tac au tac, l'esprit toujours incandescent fébrile, plus jamais rêvassant; je me foutais que le monde soit dur, rugueux, plein d'aspérités qui m'accrochaient comme des ronces, pourvu que je passe au travers; je me foutais de devenir dure moi-même, et méchante, pourvu que je sois lucide, et maligne; c'est un miracle, je me disais; c'est comme ça qu'il m'aime, déguisée en Superwoman qui voit les gens jusqu'aux entrailles, leurs vices, leurs mauvaises pensées, leurs failles et c'est comme ça que je peux être, si je veux, quand je veux, grâce aux amphètes; elle était loin, la douceur de l'enfance; il était loin, le temps ou je riais; tout cela était loin mais les choses, enfin, me semblaient proches, j'en comprenais les codes et les mouvements, les amphètes me permettaient de voir et d'entendre, les amphètes c'était le monde dans la gueule, c'était la cléf de tout, grâce aux amphètes j'étais digne dêtre aimée.
C'est loin, tout ça. C'est loin et froid. Ca remonte comme du fond d'un précipice.
Car très vite le cauchemar a commencé..."