Rien qu’un public…
Tu chantais. Debout au beau milieu de la scène, au beau milieu des clameurs folles et de l’enthousiasme général, tu chantais. Ta voix s’élevait fièrement au dessus des nombreux spectateurs ensorcelés. Elle les charmait comme elle l’avait toujours fait, pour mieux s’emparer de leur cœur et s’enrouler joyeusement autour de leur âme.
Une fois que par ta voix tu les tenais, c’était à la vie comme à la mort. Tu aurais sans doute pus leur demander n’importe quoi, ils l’auraient fait, tes spectateurs transis. Ils t’auraient suivis jusqu’au bout du monde et bien plus loin encore. C’était indéfinissablement magique, et pour toi ça représentait la plus belle des récompenses. Tu n’aurais échangé ta place contre rien au monde, même si tu aurais pus y laisser la vie.
Lorsqu’elles retombaient sur ton âme, toutes leurs paroles d’encouragements et leurs manifestations de joie et de ravissement mêlés, c’était comme une pluie de roses rouges dénuées d’épines qui venait renforcer tes sentiments les plus profonds.
Eux tous, là dans la fosse, dans les gradins ou même quelque part ailleurs dans ce vaste univers que tu avais éblouis par ta pureté, ils te donnaient l’impression d’exister. Et c’était quelque chose à voir, ce visage rayonnant de bonheur pur que tu arborais, dégoulinant de sueur et de bien être, alors qu’ils criaient ton nom ou s’évertuaient à chanter tes chansons. Voir ces brides de mots que tu avais assemblé avec tant d’amour et de passion devenir un lien qui unissait tant d’êtres différents et complémentaires, ça te faisait tellement plaisir ! Sans eux, tu n’étais rien, mais grâce à eux tu étais tout.
Tu leur donnais donc tout, et ils te le rendaient bien. Et c’était pareil pour ton frère adoré, qui avait eu la chance d’être embarqué avec toi dans ce monde merveilleux que vous aviez conquis. C’est fou ce que quatre amis peuvent parvenir à faire, en étant fermement décidés à bouleverser leur monde. En tout cas cette aventure était formidable, et elle avait atteint son apogée le jour même où elle était vouée à disparaître. Comme une fleur qui déploie fièrement ses pétales colorées et pétillantes de vie pour finir réduite à une gerbe de grains de néant et d’illusions par une éclair éblouissant et incompréhensiblement injuste. Cette vérité, tu aurais aimé la cracher au visage du monde entier, n’est-ce pas ? Ce monde qui ne vivait que pour toi t’a finalement trahis avec lâcheté et dérision, toi qui ne vivais que pour lui.
Ce drame inexplicable est arrivé un jour comme les autres… un jour où tu chantais. Oui, tu chantais, ton charisme et ta foi en toi-même t’entourant avec amour en une auréole de lumière. Tu chantais et soudain un grondement féroce s’est élevé de la terre, noyant méchamment tes paroles et brisant sauvagement l’ambiance. Et le sol s’est mis à trembler violemment sous tes pieds. Tu as vu le haut plafond de la salle se fissurer à une vitesse stupéfiante, pour finalement s’écrouler en de gros blocs de pierres meurtriers.
Les gens hurlaient leur terreur et nageaient encore dans l’incompréhension alors qu’ils étaient ensevelis sous les décombres, plus tranchants et lourds les uns que les autres. Et toi, debout au milieu de ce sanglant carnage, tu continuais encore et toujours à chanter, même si il n’y avait plus personne pour t’entendre.
Tu t’es retourné lentement pour échapper à la vision cauchemardesque de cette gigantesque marre de sang, et là tu as vu un bloc énorme tomber sur ton frère. La roue du destin venait de cruellement s’abattre en faisant exploser son cadran, telle une aiguille devenue folle. Tu as vu ton frère, que tu chérissais tant, lâcher son dernier soupir en te fixant droit dans les yeux. Tu ne pouvais pas le sauver, pas plus lui que les autres. En comprenant cela, tu as senti comme une dague s’enfoncer en plein dans ton cœur, et tu as été amputé d’une partie de toi-même.
Alors tu t’es mis à courir, au milieu de la pluie ininterrompue de blocs rocheux, de la fumée et de la mort. Sous tes pieds tu sentais du sang jaillir hors des cadavres qui recouvraient le sol, et cela te révulsait. Mais tu ne pouvais rien y faire. Alors tu as continué à courir, en espérant qu’un rocher t’arracherait de ce monde que tu ne comprenais plus et qui échappait au moindre contrôle. Lentement, le sol s’est calmé. Empêtré dans un capharnaüm de sens aiguisés et d’émotions trop vives, tu t’es arrêté, pantelant. Tu étais seul, tout seul au milieu des décombres, debout au milieu des vestiges d’un bonheur dont tu te savais désormais privé à jamais.
Oui, tu étais tout seul, et chanter n’y aurait rien changé. La vie est cruelle, n’est-ce pas ? Elle l’a toujours était. Elle t’avait privée de tout sauf de ton existence, qu’à présent tu ne considérais plus comme telle. Mais au fils du temps tu as finis par comprendre que ce monde, que tu aimes tant et que tu n’arrives décidément pas à haïr, ne peut exister sans toi. Et comme il est particulièrement jaloux, il ne voulait te partager avec personne d’autre.
Alors maintenant tu l’entoures de tes grandes ailes blanches et soyeuses, ce monde tâché de sang, et tu le berces tendrement contre ton cœur. C’est tout ce qu’il te reste, et il faut bien vivre pour quelque chose, tu ne crois pas ? Aujourd’hui encore, lorsque ta voix si mélodieuse, et tellement mélancolique, s’élève en de superbes mélodies voluptueuses, tu sens encore l’âme de ton public tant aimé t’auréoler d’admiration.
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Mer 29 Aoû - 17:46
