Les Mauvaises Filles [En cours ]

A nos ames éventrées qui se traînent sur le parvis de St-Vincent.
A Vincent qui ne suivra jamais que les sons désabusés des guitares des SDF.
A Bony. A Clyde. Sans qui je ne peux plus dormir.

Prologue

Les rues de Rennes s'assombrissent chaque jour un peu plus. Le soleil, érinté par les averses lunatiques qui déversent leur peine sur les immeubles gris et les pierres de granit bleu, s'est retiré depuis bien longtemps derrière un nuage, ou deux, ou quatre. Personne ne savait vraiment. La ville semblait alors amorphe et morte, comme vide de sens. Accablées de déchêts, de SDF aux guitares crades et voix mortes, les rues de pavés se meurent et Rennes s'étouffe. Dans son vomi. Dans son vomi étyllique. Rennes est une vieille dame de suie et de manzana, que des incendies détruisent chaque nuit un peu plus. Car c'est la nuit que Rennes vit. Ses bars exaltants à l'odeur fauve de pisse perdue, ses rues enfouies sous la gerbe, ses ivrognes qui hurlent, ses poubelles remplies à rabord de paquets de cigarettes éventrés âprement, dans un dernier accent de grâce, avant de sortir d'urgence un briquet, et insuffler dans ses poumons la fumée mortelle qui les rendait bons, qui les rendait calmes, qui les rendait beaux. Ses jeunes, tous plus fous les uns que les autres. Rennes est ce genre de ville qui fait de vous des vieux, des vieux dépendants, des vieux rachitiques bouffés par l'alcool, les mites, la musique crachée par des bouches édentées, par l'héroïne, par la coke, par le vent, par la pluie, par la maladie, par la mélancolie, par la peur de crever ignorant. Rennes est la cité des Pas-Perdus où la mort rôde, farouche et sensuelle, au coin d'une place, derrière les Halles, un couteau rouillé serré très fort dans la main droite. Et il y a Rennes et ses catins. Les Mauvaises Filles.

____________

I - Ivresse

Un rai de lumière entre par les volets entrouverts. Zora l'Impératrice se cache un peu plus profondément dans ses draps en gémissant.

- Je vais fermer.
- Merci.

Un jeune homme, à demi nu, se lève et ouvre grand la fenêtre. Le vent s'engouffre dans la chambre. Zora laisse voler ses cheveux d'Impératrice autour de l'oreiller.

- Ah ! Putain de vent !
- Quoi ?
- Je me suis pincé le doigt.

Zora rit doucement. Qu'il est jeune, bon sang.

" Il y a trop de cigarettes à rouler entre tes doigts. Il est démesurément trop tôt et tu le sais pertinemment. Il y a trop de cils autour des tes yeux, je ne vois plus tes iris bruns. Noirs devrais-je dire. Je pars. Non. Je reste. Je passe mon temps à hésiter entre toi et nous. Je ne sais plus. Tu sais encore moins, pas vrai ? Donne moi une gorgée de ton hydromel. Encore. Je boirai ça comme du petit lait, je te le promet. Mais jure moi, jure moi, que tu vas arrêter d'être toi. Que tu vas arrêter de me poursuivre jusqu'à mon lycée, de m'attendre à la sortie des cours. Je sais que tu me vois comme un fils, Zora, que tout le monde doit se plier à tes règles, Zora, je sais qui tu es. Mais je veux que tu changes. C'est toi ou nous. C'est la vie, Zora. Les Impératrices, ça ne vit que dans tes rêves. Et puis les plus beaux mensonges sont les tiens. Je veux que tu restes. Je sais que tu détestes cet appartement et ces volets qui s'ouvrent à tout va, et je te promet, sur la tombe de ma mère, que je nous en trouverai un bien mieux, que t'y viveras comme un vraie Impératrice, comme tu le devrais, si t'étais pas fichtrement folle. Je voudrais être encore plus jeune et croire que t'échapper est la chose la plus naturelle du monde. Mais aujourd'hui je sais. Je sais tout de toi Zora. Tu es la plus grande chasseuse d'homme. La plus belle pute. La plus belle de toutes. Les catins ont intérêt à bien s'accrocher pour ne pas crever sous les ponts. Tu les évinces toutes. En as-tu réellement besoin ? Envie... Le mot me transperce les lèvres, le coeur, me dégoûte. Serait-ce possible que tu sois à ce point malade. Oh Zora, je t'aime."

Luk reposa le papier sur la table. Il ne pouvait pas. C'était contre nature. Un si gentil garçon ne pouvait pas faire ça. Pas à la femme de sa vie. Pas elle. Il riait bien de lui, Luk. Il se souvenait de ses quinze ans et de ses fantasmes idiots. Il admettait qu'au moins, tout le monde ne le regardait pas de travers. Mais Zora s'en contrefichait qu'on les voit ensemble, elle préfèrait son odeur aux regards des passants, des amis de Luk. Il avait été gêné, puis l'ennui et le desespoir s'étaient emparés de lui. Il était pris au piège. T'es fait comme un rat, Luk. Bien plus beau pourtant. Luk était le légionnaire de cette fameuse chanson de Gainsbourg. Zora l'adorait et la fredonnait chaque matin, à quatre heure, quand sa crise la reprenait. Insomnie cronique. Café-clope pour passer l'envie de vomir. Mais son foie, ses poumons, sa peau, la comissure de ses lèvres, tout s'affaissait, et Zora l'Impératrice, fidèle à elle-même, s'entêtait, insistait. C'est pas si moche de vieillir, de toute manière. Si. Et de toutes ses forces, elle se débattait contre la quarantaine et ses horribles manies de matrone. D'abord le ventre qui gonfle, et puis les cernes qui se creusent, et ces replis dans la peau. Et ses cheveux autrefois si noirs, qui s'éclaircissaient et par endroit, s'effilochaient comme de pauvres loques. Mais Luk était là et s'extasiait devant cette nature injuste qui embellissait Zora alors qu'elle avait tué sa mère. Il revint dans la chambre et l'embrassa tendrement. Puis il lui planta la perfusion dans le bras gauche et caressant ses cheveux secs, il tourna les talons prudemment. Sortit. Il ne savait plus faire face. La lettre trônait sur la table. Irait-elle jusque là ce matin ? En aurait-elle la force ? Il l'espérait.

Ta descriptionn de Rennes me donne envie d'aller m'y perdre et me faire éventrer par la Mort au détour d'une rue trop sombre.
J'aime ce début.
J'aime l'idée.
J'aime les petits clins d'oeil à BB Brunes, [Fais exprès ou pas ? ]
J'attends la suite.
Très belle écriture Prune.

Merci. Merci. J'aimerais que ça ne ressemble pas aux chansons des BB Brunes, j'aimerais que ça ne ressemble à rien, en fait. Mais c'est trop tard, ils m'ont pris mes idées, mes phrases, mes manières d'écrire. C'est peut-être l'époque qui veut ça. J'sais pas. En tout cas j'espère pouvoir reposter une nouvelle suite assez tôt et réussir à faire de cette histoire quelque chose de bien, de vrai. Mais j'ignore combien de temps je pourrai tenir. Je suis aussi lunatique que mes averses rennaises bon sang.

Tiens bon, cette histoire te tient à coeur, ne l'abandonne pas
(=

Luk tapotait la vitre de son index pendant que Mr Trouder, son professeur d'anglais, leur lisait avec passion un texte de Shakespear. Luk ne se souvenait plus du nom du bouquin, il ferait mieux de le lire pourtant, il avait l'air bien. Mais il ne songeait à rien qu'à cette lettre qui gisait sur la table de la cuisine. Il avait peur. Luk éloigna son visage de la vitre et observa la buée que son souffle coupé avait déposé sur le carreau. Il se renfonça dans le fond de son siège et tenta de se plonger avec application dans l'étude des mots, anglais de surcroit, qui fleurissaient le papier de boucles noires. Il soupira un peu, fatigué. Il était quatre heure seize, mais Luk guettait tout de même. Zora pouvait arriver à tout moment. Les autres l'observeraient, la jaugeraient, le rendraient fou le temps d'une seconde, puis il la regarderait et soupirerait une fois encore. Elle était belle.

Les minutes défilaient, Mr Trouder parlait de plus en plus fort lui semblait-il, emporté par les mots. Lorsqu'il interrogea Luk, un grand silence lui répondit. Absorbé dans sa contemplation, il ne suivait rien. Dehors, Zora l'attendait, adossée à un mur pour ne pas déraper. Elle frissonnait malgré le joli temps qui égayait la ville. On était au printemps. Elle regardait droit devant elle, sûre d'elle, inébranlable et forte. Le professeur s'approcha doucement de Luk et claqua des doigts devant ses yeux. Lorsqu'il revint à ses esprit, Luk vit que tout le monde le regardait et certians riaient, les plus imbéciles. Mr Trouder le grattifia d'un "bien" et lui reposa la question. Luk répondit. Il aimait bien l'anglais.

La sonnerie vrilla ses tympans mais Luk, se ressaisissant, ramassa ses affaires dans son sac et sortit tranquillement. Il était serein. Zora avait réussi à venir jusqu'à son lycée. Elle allait mieux. Il se demanda si elle avait lu la lettre, après tout, quelle importance ? Et puis, une lettre est faite pour être lue, non ? Il croisa quelques amis dans les escaliers et il lui proposèrent d'aller boire un verre. Il refusa, trop pressé de retrouver Zora. Il finit par courir le long du trottoir pour la rejoindre sous l'enseigne d'un petit cinéma de quartier. Il l'embrassa.

- Tu n'aurais pas dû venir.

Elle secoua la tête.

- Tu dis toujours la même chose. Ca te fait pas plaisir de me voir ?
- Si mais je veux pas... Je... Tu me fatigues.
- C'est toi qui me fatigue.

Zora détourna le regard et, les yeux dans le vide, elle dit:

"Il faut qu'on parle. J'ai envie de boire un café."

Et Zora partit en trombe. En quelques minutes, ils atteignirent un bar. Le 1929. Leur préféré. Zora s'assit et commanda deux cafés, Luk, qui la suivait s'assit en face d'elle et plongea ses yeux dans les siens d'un noir hallucinant.

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