Les Larmes du Ciel
Maylie est une petite fille comme les autres. Ou du moins était, car il lui est arrivé quelque chose de bien peu commun… Maylie a assisté aux Larmes du Ciel.
Il existe, quelque part dans des contrées lointaines et inexplorées, une prophétie aussi incompréhensible qu’alarmante : le jour où l’homme cachera la soleil, les Larmes du Ciel tomberont. C’est bien beau, mais il faudrait que l’homme soit vraiment grand pour cacher l’astre suprême ! Enfin ça, c’est ce que croyait Maylie. Et elle était loin de se douter qu’elle serait presque la seule personne à avoir le temps de la comprendre, cette prophétie sournoisement redoutable…
Flash Back ?
Of course !
En cette froide matinée d’octobre, Maylie a toutes les raisons d’être heureuse. Certes, le soleil disparaît depuis des mois derrière les nuages de pollution, mais aller à la mer demeure pour cette petite bourgeoise de douze ans à peine le plus beau rêve. L’Océan, vous vous rendez compte ? La petite jubile tandis que la voiture de ses parents file fièrement vers l’horizon.
Maylie n’a jamais eu la chance de sortir de son petit patelin luxueux. Elle ne connaît que les faux-semblants, les illusions de prospérité et de propreté concernant la terre, et rien d’autre. Elle est donc profondément choquée par les énormes amas de pollution grisâtre qui parent grossièrement le ciel. Pas un seul petit bout de ciel bleu. Maylie est habituée au ciel artificiel qui plane sur son patelin, la dernière invention technologique du moment, créée juste avant sa naissance. Ses parents avaient beau l’avoir avertie, elle ne s’attendait pas à cela.
Le monde qui défile derrière la vitre impeccable de la voiture lui parait terne, morne, vide de toute vitalité et profondément démuni d’espoir. Cela n’a strictement rien à voir avec les belles photos, pourtant pas si anciennes que ça tout compte fait, que l’on trouve en tant qu’illustrations dans les livres.
La voiture se gare enfin sur un promontoire rocheux. Maylie en oublie les problèmes du monde, tant elle a hâte de voir la mer. Après tout, ce n’est rien d’autre qu’une enfant, perdue sur une terre désarmée contre son innocence. Elle prend juste le temps de s’enduire de crème solaire, aidée par sa mère.
Dérisoire ? Pas du tout. Si le soleil a entièrement disparu derrière les déchets gazeux de la société, ses rayons arrivent tout de même à percer la noirceur du ciel, et la couche d’ozone étant gravement endommagée, ils étaient d’autant plus dangereux pour la peau.
Maintenant, Maylie court sur le sable gris. Elle se brûle la plante des pieds, mais elle en rit. Sa mère et son père lui hurlent à pleins poumons de revenir, mais Maylie se sent tellement libre et heureuse qu’elle ne prend pas compte de ces avertissements.
Et soudain, la mer apparaît devant elle. Immense, imposante et aussi grise que les faux nuages du ciel. Sale et pitoyable, rien à voir avec ce qu’elle avait vu dans les libres et surtout dans ses rêves. Cet océan n’avait pas plus d’attrait qu’un vulgaire étang pollué du Maine.
Maylie se mit à pleurer. Idiot de pleurer à douze ans, mais qui lui en voudrait ? Le monde était profondément détraqué, ou plutôt les hommes l’avaient profondément perverti, et même la mer devenait repoussante.
Les larmes dévalant toujours ses joues, Maylie pénétra dans l’eau. Elle se foutait pas mal des substances nocives qu’elle contenait. Elle s’en foutait pas mal non plus d’abandonner cette vie dérisoire pour crever.
Ses parents s’époumonaient toujours sur le promontoire-parking, épouvantés. Maylie aurait eu envie de pousser un bon coup d’gueule à la vie, ou tout simplement de demander à son père et à sa mère d’ouvrir un peu les yeux, mais c’est alors que les premières larmes du ciel se mirent à tomber.
Maylie fit tout de suite le rapprochement avec ses gouttes turquoises agressives qui transperçaient le ciel pour venir claquer sur la terre. L’homme, de ses nuages de saloperie flottante, avait caché le soleil. Elle entraperçue rapidement les gouttes virer au bleu foncé en touchant le sol avant de s’enfoncer dans l’Océan.
Elle perdit toute curiosité et, suivant son désir premier de quitter ce monde maintenant en effervescence, elle s’abandonna aux ténèbres accueillantes du fin fond de cette mer répondant si peu à ses attentes.
Plic.
Ploc.
Ploc.
Le roulement de la pluie qui te parvient aux oreilles, assourdis par les clapotis de l’Océan…Plic.
Ploc.
Ploc.
L’impression qu’autour de toi tout se fond en un magma aussi informe qu’indescriptible…Plic.
Ploc.
Ploc.
Ton détachement profond envers tout ce qui se passe autour de toi _ après tout, ce n’est plus ton monde maintenant…Plic.
Ploc.
Ploc.
La vie qui fait mine de s’en aller au fil de tes respirations contenues avec détermination, la mort qui te tend les bras, toi qui te projette vers elle de toutes tes forces, et au dernier moment cette salope de vie te reprend dans ses filets gluants, et toi qui la maudit de toute ton âme car c’est la seule chose que tu puisses faire…Plic.
Ploc.
Ploc.
Et cette lumière aveuglante, sortie de nulle part, qui semble émaner de toute part…Plic.
Ploc.
Ploc.
La lumière t’aspire, elle t’arrache aux ténèbres…¤ Bam _ clash ! ¤
Fin du Flash Back ?
Ya, mein general !
… et Maylie sent le sable sous son corps trempé. Elle ne veut tout d’abord pas ouvrir les yeux. Elle se dit qu’elle attendra fermement et sagement la mort.
Puis finalement la bonne vieille curiosité refait surface. Maylie s’étonne t’entendre, en cadence avec le lent roulement des vagues, des chants mélodieux d’oiseaux. Sentir la chaleur douce d’un soleil bien présent est aussi une nouveauté pour elle.
Alors ça y est, elle ouvre les yeux. Et là elle découvre un monde magnifique, où les arbres sont vers, les papillons multicolores, la brise du vent fraîche et saline, le sable dorée et surtout, surtout, la mer aussi bleu que le ciel.
Toute la terre resplendit sous les chatoiements lumineux de la vie.
Il n’y a qu’une seule personne sur cette terre à part elle. Maylie le sait. C’est ce garçon brun et beau, qui l’attend là bas. Ensemble, ils vivront dans ce Paradis, cet Eden époustouflant. Ensemble, ils repeupleront la terre. Ensemble, ils graveront dans la pierre l’ultime prophétie : « Le jour où l’homme cachera la soleil, les Larmes du Ciel tomberont ».
C’est un cercle vicieux. Recommencer pour mieux détruire. Mais après tout, pourquoi ne pas en profiter, se dit Maylie. Et elle court librement vers son destin unique et pourtant tant de fois répété, libre et fière.