L'Océan.
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 L'attente [OS]

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Prune
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Prune


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MessageSujet: L'attente [OS]   L'attente [OS] Icon_minitimeVen 21 Aoû - 20:24

L'attente



Lorsqu'Arthur est parti avec pour seul bagage son bracelet rouge, je n'ai pas pleuré. Je n'ai même pas eu besoin de m'en empêcher, je n'étais pas triste. Je savais qu'il reviendrait. Arthur avait laissé une jolie lettre sur son oreiller. Je ne l'ai pas lue, me contentant de m'émerveiller de son écriture si parfaitement régulière. La lettre était un chef-d'oeuvre caligraphique, un tableau de boucles bleues. Je n'ai pas voulu la lire. Elle ne voulait probablement rien dire, connaissant Arthur.

Arthur et moi étions étonnemment semblables. Ni l'un ni l'autre ne comprenions le sens de la vie, elle nous faisait simplement rire. Arthur et moi avions la même façon d'appréhender les épreuves que le destin sème aux quatre coins de nos futiles éxistences. A vrai dire, nous ne les appréhendions pas. Nous passions dessus. En souriant. Nous ne souffrions jamais, forts de notre cynisme et de l'amour incommensurable que nous nous prtions. Je chérissais Arthur comme jamais je n'avais chéri personne d'autre. Ce n'était pas de la passion, c'était de la compréhension, je pense. J'aimais Arthur comme lui m'aimait, comme une évidence.

Lorsqu'Arthur est parti, j'ai immédiatement barricadé la maison. Je me suis levée et j'ai vu mon quotidien ébranlé. J'ai débranché le téléphone, condamné la boîte aux lettres, cloué deux grosses planches de bois tout contre la porte et je me suis enroulée dans un plaid en laine à carreaux rouge et blanc. Je me suis faite un café et j'ai attendu. J'ai attendu des jours, des semaines puis des mois. Mais j'étais persuadée qu'il reviendrait, alors j'attendais. Je suis restée seule à regarder par la fenêtre durant l'éternité, il me semble. De temps en temps, je me levais et préparais un café. Arthur et moi ne buvions que ça et le placard en était rempli.

Il ne me manquait pas vraiment. En réalité, Arthur ne m'était pas indispensable. Non, seuls certains de ses traits, certains de se défauts, certaines de ses qualités aussi, me manquaient. Il y avait son menton, sa peau détruite par l'eczéma et ses allergies. Il y avait ses cheveux en bataille, sa douceur et sa voix basse cassée par le tabac. Arthur avait eu la délicatesse de me laisser ses vêtements dans l'armoire. Quand, ce matin-là, je m'étais réveillée, j'avais tout de suite compris. Compris qu'il était parti. Mais Arthur disait toujours que l'on part pour revenir. Alors je savais qu'il reviendrait.

*
**
*

Lorsqu'Arthur est parti et que je me suis levée, j'ai imméditement enfilé une de ses chemises. Par réflexe. Pour garder sur moi son odeur suave de bois et de campagne fleurie. Il aimait bien que je porte ses vêtements. Lui, il m'empruntait des pantalons. Sa maigreur le lui permettait. Il mettait ensuite un T-shirt blanc, son blaser et sortait fumer sa cigarette. Sa seule cigarette de la journée. Puis il revenait par la porte de derrière, chaussait nos Doc Marteens rouges et préparait un café.

C'est la première chose que j'ai sentie, ce matin-là. Ou plutôt, que je n'ai pas sentie. L'odeur du café frais. Et j'ai attendu, prostrée dans mon silence. Mais je ne voulais rien entendre. Aucune voix. Pas un bruit. Jamais. Pas même le chant des oiseaux. Je voulais sa voix. L'écouter. Entendre, au-delà des mots, la mélodie des sanglots qu'il refoulait. Je le désirais tellement lorsqu'il paralait. Lorsqu'il se taisait aussi. Et qu'il annonçait, fier de lui, qu'il avait cru voir une nouvelle étoile dans le ciel de la veille. Bien entendu, je le savais déjà. Je le regardais. Non. Je m'irradiais de lui. Je me couvrais de sa beauté. Je ne le regardais pas, je le mangeais. Je l'atomisais et il devenait le "moi" que tout mon être voulait engendrer.


Un matin, j'ai entendu la porte d'entrée trembler. Un secousse. Deux. J'ai d'abord pensé à une bourrasque de vent. Je ne sais pas quelle heure il était. J'avais cassé toutes les montres et toutes les horloges de la maison. Les réveils aussi. Je les avais tous jetés contre un mur de la chambre. Celui au-dessus de l'oreiller d'Arthur. Ce n'était pas de la rage, pas même de l'énervement. Je me rendais seulement folle à voir toutes ces aiguilles trotter autour de moi. La porte trembla une troisième fois et le fracas qu'elle produisait me vrillait les tympans. Je me suis réfugiée dans la cuisne et je me suis bouchée les oreilles. J'ai attendu un peu. Le silence est revenu. Et puis, au loin, j'ai entendu la porte de derrière qui s'ouvrait et un bruit de talons. J'ai fermé les yeux. Je respirais lentement.

Soudain, Maman est apparue dans l'embrasure de la porte. Elle m'a regardée et la surprise que j'ai lue dans son regard m'a fait peur. Doucement, elle s'est approchée. Elle tenait beaucoup de lettres dans sa main. Elle les a déposées sur la table de la cuisine et m'a prise dans ses bras.

"Il est parti, ai-je murmuré.
- Mon dieu. Ma pauvre chérie. Je me doutais que ça n'allait pas, j'aurais dû...
- Je vais bien. Je l'attends."

Elle s'est reculée et m'a observée. J'ai trouvé que son regard était drôle. Je me rendais alors compte qu'elle m'avait manquée.

" Quel jour on est ?
- Le quatorze mars.
- Ah.
- Il faut que tu paies tes factures.
- Fais-le. S'il-te-plaît.
- Je ne peux pas.
- Je signerai les chèques.
- D'accord."

Et à partir de ce jour, Maman est venue chaque mois. Elle remplissait mes papiers, faisait une grande lessive et amenait à manger. Nous regardions un film aussi le soir. Nous ne parlions pas beaucoup, mais la savoir auprès de moi me réconfortait.

Puis, un jour, Maman m'a dit que je n'avais plus rien. Que si je ne voulais pas tout perdre, je devrais travailler. J'ai dit d'accord. J'ai un peu cherché, j'aurais fait n'importe quoi pour garder la maison. Cette maison était Arthur. Il l'avait bâtie lui-même, il avait hérité de ce terrain alors que nous avions dix-neuf ans. Il était en friche, nous avions tout nettoyé. Un petit étang arrivait au bas du parc. Je raffollais de cet endroit. J'ai vite trouvé un emploi dans un bureau. Il n'était pas franchement intéressant. Je m'en fichais. Arthur était parti depuis plus d'un an. Sa voix disparaissait lentement de mon esprit, elle n'était plus que l'echo de ses mots brisés, ils se trouvaient là, sans force, emprisonnés dans des souvenirs. C'est à cet instant, je crois, que j'ai arrêté de me mentir. Arthur me manquait. Tout en lui me manquait. Même sa distance. Mais le temps passait et je me suis liée d'amitié avec des collègues. J'ai connu des hommes aussi. L'"Amour". Ca ne rimait à rien et c'était tant mieux. J'ai toujours préféré la prose.

*
**
*

Maman venait toujours un jour par mois. Elle ne payait plus mes factures et nous buvions du thé en discutant. Papa ne venait jamais. Je ne l'avais pas vu depuis très longtemps. Quand je l'ai dit à Maman, elle a baissé la tête et a répondu

"Ton père n'aimait pas beaucoup Arthur. Il n'aime pas cette maison. Il ne veut pas te voir. Pas ici. Pas maintenant."

J'ai ri et j'ai pris la main de Maman qui pleurait. Le soir, on a regardé un film avec Lino Ventura, Maman l'adorait. Quand elle est partie, elle m'a juré qu'elle dirait à Papa qu'il me manquait. Je l'ai remerciée et je lui ai dit au revoir. Le mois suivant, Papa est venu. Il n'a rien dit. Je l'ai serré longtemps dans mes bras et j'ai attendu qu'il arrête de pleurer pour me délivrer de son étreinte.

Je crois que ce que Papa aimait le moins chez Arthur, c'était sa manière de mettre dans les yeux de Maman les étoiles qu'il avalait la nuit. Papa lui en voulait de la faire rêver. Il n'aimait pas non plus la voix qu'Arthur prenait quand il disait qu'il n'aimait pas ses souvenirs, qu'il ne voulait pas se souvenir. Ca lui faisait peur à Papa, je pense. Mais je sais qu'Arthur appréciait Papa. Qu'il aimait bien leurs parties de pêche. Papa n'aimait pas la pêche. Il ne l'a jamais avoué à personne, mais moi, je le sais. Dans la soirée, alors que Papa était parti sur le perron fumer une cigarette, Maman m'a dit qu'il ne fallait pas que je lui en veuille, qu'il m'aimait beaucoup et que me voir détruite par Arthur aurait fini par le tuer un jour. Je me suis mordue la lèvre pour ne pas rire. Moi aussi j'aimais Papa.

Les années passaient. Arthur était devenu un voile de poussière dans mon esprit. Et puis, j'ai rencontré Jean. Il était beau, gentil, sensible. Oh, ce devait bien être dix ans après le départ d'Arthur et le désespoir avait fini par me gagner. J'étais fatiguée d'attendre. Seule. Jean et moi nous sommes rapidement mis en ménage à la maison. Mais il n'aimait pas vraiment la campagne. Nous avons acheté un petit pavillon dans la banlieue de Lyon. J'avais décidé d'aimer Jean. Je l'aimais. Nous avons fait les cartons. En rangeant les dernières affaires de la chambre, je suis retombée sur la lettre d'Arthur, et pour la première fois depuis très longtemps, j'ai senti mon coeur battre. Je l'ai ouverte. Et je l'ai lue.

Marianne, mon amour,


Le 12 décembre 1996




Je m'en vais. Sûrement l'odeur du café frais te manquera-t-elle en ce matin de décembre. Il fait très froid, couvre toi bien. J'ai laissé mon paquet de cigarettes sous la dalle du perron qui bouge. J'ai regardé les étoiles hier soir et il me semble que ton nom s'inscrivait dans le ciel scintillant. J'ai beaucoup pleuré. Je te perds ce soir. Je me perds aussi. Je ne ris plus. Je m'en veux tellement de t'enfermer ici, dans cette forêt. Va-t-en. Quand ce matin, tu liras cette lettre, fais tes bagages. Jette mes vêtements n'importe où. Brûle la maison. Cours te réfugier. Trouve-toi quelqu'un de bien, quelqu'un qui n'aura pas l'égoïsme de vouloir te garder seule dans sa forêt. Marianne, ce soir, en dépît de toutes nos théories de fous, j'ai décrété que je me laisserai couler dans le lac. L'eau va être très froide. Poignante. Tant mieux. Je m'excuse Marianne. Sauve-toi. Je t'aime.


Arthur.



Pour la première fois depuis dix ans, j'ai pleuré. J'ai pleuré Arthur glacé dans son lac. Je me suis pleurée. J'ai pleuré ma stupidité. Jean m'a prise par les épaules et posé ses lèvres tout contre mon cou. Le soir en regardant les étoiles, j'ai pensé que j'étais folle. Que pendant dix ans j'avais attendu un fantôme. J'ai jeté un dernier regard au lac, et j'ai craqué une allumette dans la mare d'essence. Jean m'a ouvert la portière et dans la nuit froide du douze décembre deux-mille six, on est partis.

Prune
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Ina
Fleuve d'Encre
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MessageSujet: Re: L'attente [OS]   L'attente [OS] Icon_minitimeDim 23 Aoû - 23:56

Poignant.
Et pourtant tes mots sont si...innocents.
Ils brillent un peu, formant les lignes, patients.
En les suivants, on respire sans réellement le savoir, le souffle ralentit, puis, on finit par soupirer.
Arthur est honteusement beau. C'est à se brider.

Merveilleux moment. Merci.
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